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La Monnaie / De Munt LA MONNAIE / DE MUNT

Une œuvre fondamentale pour nous tous.

Alain Altinoglu

Antonio Cuenca Ruiz
Temps de lecture
5 min.

L’exécution de la Neuvième symphonie marque le coup d’envoi d’un « cycle Beethoven », au cours duquel une intégrale des symphonies du compositeur est proposée au public, tout au long de la saison prochaine, en collaboration avec le Belgian National Orchestra. Un entretien avec notre directeur musical Alain Altinoglu qui dirigera tous les concerts de ce cycle.

D’où l’envie de présenter ce cycle vous vient-elle ?

Un lien fort m’unit au compositeur depuis toujours. Les œuvres de Beethoven font partie des premières partitions que j’ai travaillées quand j’étais jeune pianiste. Je me souviens également de mon grand père, qui m’avait ramené de Turquie une édition des symphonies de Beethoven sur un papier tellement fragile qu’il cassait sous les doigts. C’est l’une des premières partitions d’orchestre que j’ai possédées et son étude m’a profondément marqué. J’ai depuis dirigé les symphonies de Beethoven séparément, avec différents orchestres. À présent, avec l’Orchestre symphonique de la Monnaie, nous avons l’opportunité de construire un cycle complet. En tant que directeur musical, il est important de faire travailler l’orchestre sur ses fondamentaux. Et Beethoven, tout comme Haydn et Mozart, fait partie des classiques indispensables au répertoire symphonique. Les symphonies de Beethoven permettent de travailler sur un certain nombre d’aspects techniques, intrinsèques au travail de l’orchestre.

Avec la Neuvième symphonie de Beethoven, des voix solistes et un chœur sont pour la première fois sollicités dans une symphonie.

En février 2018, vous avez proposé une exploration commentée de Shéhérazade de Rimski-Korsakov, lors d’un concert dédié aux familles. Le prochain « cycle Beethoven » est aussi l’occasion, pour vous, de poursuivre ce travail pédagogique.

Le concert Shéhérazade a été un grand succès. Lui donner une suite s’est imposé comme une évidence. Pour le prochain « family concert », nous proposerons une soirée consacrée à la figure de Beethoven en général, davantage qu’à une œuvre donnée. Avec Rimski-Korsakov, j’ai ciblé la présentation sur le fonctionnement de l’orchestre, sur le rôle du chef d’orchestre, sur ce qu’est une orchestration, etc. La saison prochaine, je me concentrerai sur la personnalité de Beethoven, sur son parcours, ses influences, son évolution.

Dix ans séparent les compositions des Huitième et Neuvième symphonies. Comment le langage de Beethoven évolue-t-il dans l’intervalle et quelles sont les spécificités de sa dernière symphonie ?

Avec la Neuvième symphonie de Beethoven, des voix solistes et un chœur sont pour la première fois sollicités dans une symphonie. Le final, quant à lui, est aussi long que l’aurait été toute une symphonie. L’œuvre interpelle également par son recours au récitatif – dans son dernier mouvement, par exemple, elle compte avec un récitatif de contrebasse et violoncelle très novateur. Beethoven pense à toutes ces innovations depuis longtemps, comme en témoignent ses lettres ou ses esquisses. Quand on regarde ses brouillons, on remarque d’ailleurs que l’harmonie ou le rythme lui viennent assez rapidement, tandis qu’il tâtonne davantage pour trouver la mélodie. De nombreuses strates se superposent ainsi dans cette œuvre, qu’il est possible de traverser et de comprendre en ne se focalisant que sur l’une de ces couches. On remarque, par exemple, que chaque mouvement commence par un arpège de ré mineur descendant, traité rythmiquement différemment à chaque fois. En termes d’orchestration, aussi, les combinaisons et les couleurs qui en résultent varient de mouvement en mouvement. D’une certaine manière, avec une grande économie de moyens, Beethoven construit une œuvre monumentale.

Que l’œuvre ait une telle envergure et atteigne de tels sommets d’invention ne manque pas de surprendre lorsque par ailleurs on se souvient que Beethoven était sourd…

Nous ne savons pas jusqu’à quel point les anecdotes relatées à ce sujet sont véritables – le soir de la création de la Neuvième, Beethoven aurait par exemple continué à diriger, sans se rendre compte que l’œuvre avait déjà pris fin. La contralto Caroline Unger, l’une des solistes du Finale, se serait donc approchée de lui, l’aurait pris par les épaules pour le retourner vers la salle afin qu’il contemple l’accueil triomphal que le public lui faisait. Tout cela est bien sûr très romantique. Mais il est vraisemblable que Beethoven était sourd, comme en témoigne son Testament d’Heiligenstadt, écrit au début des années 1800. Dans ce texte, Beethoven assume l’exil que la surdité lui fait subir – il donne un sens à sa mise à l’écart, et qu’il lui incombe malgré tout de mener à bien sa mission artistique. Toute la production qui s’ensuit découle de ce constat et de cette ambition.
La Neuvième, avec son contenu spirituel et son message politique fort, marque une forme d’accomplissement dans le projet beethovenien.

D’une certaine manière, Beethoven, en écrivant ses huit premières symphonies, dépasse la forme qu’il a reçue en héritage, avant de transcender lui-même ce dépassement avec la Neuvième. Quelle place l’œuvre occupe-t-elle, selon vous, dans l’histoire ?

La Neuvième est un monument pour n’importe quel musicien. Elle a marqué des générations entières d’artistes et s’est imposée comme un tournant dans l’histoire de la musique. Elle a même provoqué des comportements superstitieux. Gustav Mahler, par exemple, redoutait d’écrire sa Neuvième symphonie, étant donné que Beethoven, puis Bruckner, étaient morts après avoir composé les leurs. Wagner disait que la Neuvième de Beethoven marquait une forme de clôture dans la musique, qu’elle achevait une certaine évolution. Nous pouvons dire qu’elle marque aussi un départ, qu’elle ouvre sur ce qui suit. Au-delà de ses enjeux musicaux, la Neuvième est une œuvre fondamentale pour nous tous. Son message de paix et de fraternité nous concerne tous.