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Macbeth Underworld

à travers le prisme du 7e art

Temps de lecture
7 min.

Si vous posez la question à Pascal Dusapin, il a « collationné tout ce qui a été filmé autour de Macbeth ». Rien d’étonnant, dès lors, si l’histoire du cinéma l’a abondamment inspiré pour son nouvel opéra, Macbeth Underworld. De Judi Dench à Orson Welles, avec un rôle de premier plan pour l’adaptation de Roman Polanski.

La liberté de l’étudiant cinéaste

« Macbeth, c’est presque un mythe européen ; personne ne m’attend pour en donner la énième version », lâche sans détour Pascal Dusapin. De fait, depuis la première au fameux Globe Theatre, la tragédie de Shakespeare a connu un succès grandissant, jusqu’à devenir une œuvre canonique, montée par les plus petits théâtres de quartier comme par les compagnies les plus prestigieuses. Mais au grand écran aussi, quelques réalisateurs se sont laissé inspirer par l’œuvre célébrissime du dramaturge anglais. La première adaptation cinématographique de Macbeth  est sortie en salles en 1908, et on en trouve aujourd’hui plus de cent références sur IMDb.

Du matériau filmique en suffisance, donc, pour le compositeur Pascal Dusapin, qui s’en est donné à cœur joie. Car c’est principalement dans cette histoire cinématographique qu’il a puisé pour sa nouvelle création : « Je n’ai pas essayé de mieux connaître l’opéra de Verdi ; je le connais, bien sûr, mais j’étais plus attiré en fait par le cinéma. »

Le compositeur ne fait pas seulement allusion ici aux films muets, aux blockbusters hollywoodiens ou au classique d’Orson Welles, bien au contraire. « Des étudiants en cinéma travaillent sur Macbeth aux quatre coins du monde. C’est parce que j’ai visionné aussi toutes ces interprétations que j’ai osé aborder le sujet avec beaucoup de liberté. De quelque façon qu’on manipule le texte, le thème résiste toujours. Dans Macbeth Underworld, tout est réécrit. J’ai recopié tout le texte, puis j’ai enlevé, ajouté, appuyé sur ceci ou cela, etc. Je voulais commencer mon opéra à un moment où tous les personnages sont déjà morts. » Comme pour son opéra Faustus, The Last Night, Dusapin joue donc à nouveau, dans cette création, avec la temporalité de l’histoire. « À l’inverse de Penthésilée, où j’étais devant un monument de la littérature allemande et où je suis resté beaucoup plus fidèle à l’essence du texte. »

Polanski, la source d’inspiration

Quand nous demandons à Pascal Dusapin pourquoi il a attendu si longtemps pour s’attaquer à Macbeth, il répond en pouffant de rire : « Penthésilée était une histoire tellement atroce que je me suis demandé comment je pourrais faire pire. Et c’est comme ça que vous en arrivez finalement à Macbeth. » Il reprend un air plus sérieux et poursuit : « En réalité, cela fait très longtemps que j’ai Macbeth en tête, comme toujours avec mes projets d’opéra. Par exemple, Penthésilée, c’est une idée que j’avais eue quand j’avais 24 ans. Or, en 2015, j’avais quelques années de plus que ça. » Il rit.

« Quand on travaille pour la scène, Shakespeare est évidemment toujours une option. Mais j’ai vraiment pris ma décision quand j’ai vu le Macbeth de Roman Polanski. C’est un film fabuleux. J’ai eu la chance de rencontrer quelques fois Polanski et j’ai pu le lui dire. Il était ravi, parce que c’est un film qui n’est pas très connu du grand public. »

Plus nous parlons avec Dusapin, plus il apparaît clairement que le film de Polanski est une source d’inspiration capitale pour Macbeth Underworld. « Le personnage du portier est tiré de son film. Truculent, égrillard, un peu obscène même… J’étais obnubilé par l’image de cet homme. C’était un tel bonheur d’écrire pour lui que son rôle est devenu de plus en plus important. Il est plein de vie, mais c’est aussi un philosophe. On pourrait même dire que c’est la seule personne sensée dans tout l’opéra. »

Caractérologie

Mais l’influence du cinéma ne se limite pas au traitement du sujet ou à l’emprunt de personnages. Pour ses rôles principaux, Dusapin s’est notamment inspiré de l’inteprétation de Judi Dench : « elle  a été un modèle déterminant pour la scène où Lady Macbeth se lave les mains. Le rythme auquel elle parle est incroyablement juste. J’ai retranscrit tout cela et je l’ai utilisé dans Macbeth Underworld. »

Ici aussi, le nom de Roman Polanski ne tarde pas à tomber. « On imagine Lady Macbeth  comme une perverse narcissique qui domine son monde et qui obtient tout ce qu’elle veut. Dans le film de Polanski, c’est tout le contraire, c’est une jeune femme blonde un peu fluette, très seventies dans son aspect extérieur aussi. Ça m’a aidé à construire le personnage de ma propre Lady Macbeth. Je ne voulais pas une mezzo-soprano extravertie, mais une femme presque androgyne, entre deux, je la voulais presque chambriste (…) je la voulais fragile. Quand il a été question du casting, Peter de Caluwe m’a envoyé une liste d’une dizaine de mezzos, et dedans il y avait Magdalena Kožená . Elle est parfaite, parce qu’on ne l’associe pas une Elektra frénétique. Ça m’a permis de composer son personnage vraiment pour elle, pas seulement psychologiquement mais aussi vocalement. On n’aura pas une Lady Macbeth vociférante, on a quelqu’un qui parfois même se renferme sur elle-même. »

« Pour Macbeth lui-même, c’était nettement plus simple. Je voulais Georg Nigl. C’est ma cinquième production avec lui et il peut tout faire. De l’extraordinaire expressivité à la tendresse, à la folie. Dans la notice de présentation sur sa partition, j’ai mis “Macbeth est fou”, c’est tout. Il n’a pas besoin de plus. »

L’image et le son

Si c’est par le biais de Judi Dench et de Roman Polanski que Dusapin en est arrivé à Magdalena Kožená, c’est grâce à la mezzo que la configuration instrumentale de son nouvel opéra s’est mise en place. Tandis que, dans Penthesilea, Dusapin cherchait à donner forme sonore à l’Antiquité classique, en l’espèce, le compositeur s’est efforcé d’évoquer l’époque de Shakespeare au moyen de l’archiluth. « C’est un instrument élisabéthain par excellence et qui va merveilleusement à Magdalena. Je l’ai vue il y a quelques années à Paris dans L’incoronazione di Poppea, et ç’a été comme une illumination : cet instrument était fait pour elle. »

Pour tenter de rendre musicalement l’univers de Macbeth, le Français s’est par ailleurs immergé dans la musique ancienne des îles Britanniques . « J’ai intégré quelques instruments types, c’est vrai, mais le plus important, c’est l’utilisation d’un intervalle particulier, la quarte. Je cherchais un son qui convoque l’atmosphère voulue, et dans la musique populaire écossaise, cet intervalle est prédominant. Si vous superposez ces quartes dans un accord, le résultat est saisissant, cela sonne presque comme un harmonium. Et cet accord revient plusieurs fois au cours de l’opéra, et il est transformé : il est quelquefois accord quinte, quelquefois triton. Cela sonne un peu comme une vielle à roue. » Même dans la musique, cependant, l’influence du cinéma n’est jamais loin. Et nous voilà revenus à Roman Polanski : « Son Macbeth a quelque chose de très terreux, de très vert – cela fait du bien après l’aridité et la désolation de Penthesilea. Pour Macbeth Underworld, j’ai composé une partie d’orgue, parce que cet instrument évoque cette couleur terreuse. » L’utilisation d’effets de bruitage dans sa partition semble elle aussi tout droit sortie de l’industrie cinématographique. « En fait, c’est du bruitage. Il y a un duel à la fin entre deux personnages, et je voulais qu’il y ait un son d’épées mais sans recourir aux moyens de l’électronique. Nous avons fait fabriquer un dispositif spécial avec des épées dont les percussionnistes peuvent “jouer” ­— parce que mes effets sonores sont composés, évidemment. »

Des instruments au livret en passant par la distribution : il ne fait pas de doute que Dusapin a largement puisé son inspiration dans l’histoire du cinéma. Mais cela ne nous dit toujours rien de l’histoire de son nouvel opéra. Dans l’édition d’automne de notre magazine MMM, en septembre, il s’arrête plus longuement, avec la journaliste Martine D. Mergeay, sur le processus de création de sa toute nouvelle œuvre.